Applis : alliées ou pièges ?
Les applications de rencontre sont partout. Que ce soit pour chercher l’amour, du sexe ou simplement échanger, elles sont devenues un passage quasi obligé pour beaucoup d’entre nous. Elles fascinent autant qu’elles inquiètent. Que révèlent-elles de notre époque, de nos corps et de nos rapports sociaux ?
La drague 2.0 : une révolution sous contrôle
Autrefois, les lieux de rencontre étaient des espaces collectifs : bars, soirées, associations, communautés. Aujourd’hui, ces espaces tiennent dans nos poches. Grindr, lancé en 2009, a bouleversé la rencontre gay en introduisant la géolocalisation : voir qui est proche, en temps réel, de façon (plus ou moins) anonyme. Depuis, Tinder, Bumble, Scruff, Taimi, Her et bien d’autres ont émergé, chacun avec ses fonctionnalités : matching, filtres ultra-spécifiques, contenus éditoriaux sur la culture queer.
Mais derrière l’accessibilité, ces plateformes façonnent nos manières d’interagir, nos attentes, nos frustrations… et parfois, nos souffrances.
Un supermarché du désir ?
Les critiques ne manquent pas : superficialité, frustration, discrimination. Beaucoup décrivent une consommation frénétique de profils, des échanges abrégés, et un sentiment de déshumanisation.
Une étude de 2018 montre que 77 % des utilisateurs de Grindr et 56 % de ceux de Tinder en ressortent frustré·es.
Pourquoi ? Parce que ces applications valorisent certains corps et en excluent d’autres. Parce que le refus est parfois brutal. Parce que les interactions peuvent ressembler à une commande de consommation plutôt qu’à une rencontre humaine.
Des comptes comme @personnesracisees_vs_grindr dénoncent les discriminations : “Pas de gros”, “Pas d’Asiat’”, “Pas de Noirs”. Avoir des préférences est une chose. Afficher ses exclusions comme règles immuables en est une autre — et cela reflète les biais sociaux et les hiérarchies corporelles dans lesquelles nous vivons.
Les applis portent une responsabilité dans la modération de ces comportements. Mais il nous revient aussi, individuellement, de préserver le respect et la bienveillance : derrière chaque profil, il y a une personne réelle.
Dépendance et mal-être : quand le plaisir devient stress
Si les applications deviennent obsessionnelles — recherche constante de matchs, frustration répétée, anxiété — il est temps de faire le point.
Parler avec un·e sexothérapeute ou un·e addictologue peut aider à comprendre ce qui est en jeu : les mécanismes psychologiques, sociaux et affectifs que ces plateformes activent.
Prudence et sécurité
Ces outils peuvent aussi être exploités par des personnes mal intentionnées. Vol, harcèlement, violences physiques ou sexuelles : les applis peuvent être des terrains de chasse.
Quelques conseils de prudence :
Échanger avant de rencontrer : prenez le temps de discuter, d’évaluer la personne.
Rencontre en lieu public : pour une première fois, c’est la règle de sécurité de base.
Informer quelqu’un : partagez l’adresse et le profil avec un proche.
Au-delà du danger individuel, certaines applications sont exploitées par des autorités dans des pays où l’homosexualité est criminalisée. Avant d’utiliser ces outils à l’étranger, renseignez-vous sur la sécurité et les risques.
Un outil puissant, à manier avec conscience
Les applications de rencontre ne sont ni intrinsèquement bonnes ni mauvaises.
Elles sont des miroirs de nos normes sociales, de nos désirs et de nos vulnérabilités. Elles peuvent permettre des rencontres riches, l’exploration de soi et des connexions significatives. Mais elles peuvent aussi devenir une source de mal-être si nous les laissons définir notre valeur ou nos corps.
Comme pour toute technologie sociale, la question n’est pas seulement “est-ce bien ou mal ?”, mais “comment nous engageons‑nous avec ces outils et quelles structures sociales nous reproduisons ou subvertissons en les utilisant ?”
